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C'est pas crédible

Quelqu'un m'a dit ça l'autre jour. Quelqu'un de proche. Et donc je l'ai cru. Forcément, puisque c'est

quelqu'un de proche, qui m'aime et me connait.


Fucking bullshit !


Tu veux savoir qui m'a dit ça ? Ah ah tu vas rire. Ou pleurer, ça dépend d’où tu en es sur ton

chemin.


C'est moi qui me suis dit ça. Et ouais... Moi. Quand j'ai pris dans la face la violence de ce

que j'étais en train de me raconter, j'ai fondu en larmes, et à l'instant où je frappe ces mots, les yeux

me piquent encore. Comme à chaque fois que je fais un pas en avant vers ma vérité, je me dis "Bon

sang mais c'est bien sûr !", ou encore "Putain je le savais je le savais quelle conne !".


Une autre Laure m'a demandé hier "A quelle conversation veux-tu participer ?". Comprendre "C'est

quoi qui te fait vibrer, quand tu rencontres des personnes ? Quels sont les sujets qui te touchent, te

mettent la rage ou les larmes ou les deux ?". Je crois bien que quelqu'un m'a déjà posé cette question

avant elle, mais je n'étais pas prête à répondre. Le "c'est pas crédible" de ce matin me dit que

maintenant, c'est OK. Maintenant je peux dire ce qui me révolte et me touche.


Pause sanglots. Reste là, je reviens, j'en ai pas pour longtemps.


...


Alors je reprends, pour toi qui n'es pas dans ma tête.


Ce qui me révolte, ce qui me fait pleurer, ce qui déchaîne la rage en moi, bref, ce qui réveille la boule d'énergie dans mon ventre, c'est la violence. Je ne parle pas de la violence que d'autres te font subir. Non non, je parle de celle que tu t'infliges toute seule, quand tu laisses faire ces autres. Je te donne des exemples après, mais d'abord je veux revenir sur ce "c'est pas crédible". Pourquoi n'ai-je pas admis que c'est ce sujet qui me touche ? Parce que je ne me sentais pas légitime pour en parler, pour avoir un avis et le défendre, et encore moins pour aider par mon exemple et mon expérience. Toute seule face à moi-même, je minimisais ce qui m'est arrivé :


  • non, je ne suis pas légitime pour parler des violences faites aux femmes, parce qu'il ne me frappait pas si souvent que ça

  • non, je ne peux pas parler de l'alcoolisme, parce que je n'étais pas bourrée tous les jours et que quand je l'étais ça n'a pas duré si longtemps

  • non, je n'ai pas le droit d'intervenir sur le burn-out, parce que le mien n'en était pas vraiment un et que je m'en suis vite remise

  • non non non, je ne ferai rien pour toutes celles qui vivent aujourd'hui ces horreurs, parce que tout ça est derrière moi, je m'en suis sortie, chacun sa merde, elles ont qu'à faire comme moi


et surtout, je me tais, parce que personne ne peut croire qu'une seule personne ait vécu tout ça. Tu as le droit d'avoir vécu une souffrance, mais trois... Faut pas déconner, C'EST PAS CREDIBLE.

... (pointillés de la pause sanglots) Stop. Ça suffit. Oui, j'ai vécu tout ça et oui, je suis debout. J'ai 45 ans, j'ai passé la moitié de ma vie à subir et à me relever, alors je crois bien avoir toute la légitimité pour parler de ça pendant la deuxième moitié. Ça, c'est quoi? Point commun entre toutes ces expériences douloureuses, c'est la violence que je me suis faite toute seule, en acceptant de subir, voire en me jetant dans la gueule du loup. Quand je me repasse le film de ma vie, je peux identifier, à chaque fois, le moment où j'ai choisi de ne pas me respecter. La violence faite à soi-même s'insinue partout, fait son nid dans tous les coins, prend ses aises dans tous les recoins. Aucun pan de ta vie n'y échappe. Elle est tapie derrière ton dos à chaque fois que tu dois faire un choix. Les choix dont tu crois qu'ils t'engagent pour la vie: tes études, ton métier, ton conjoint, ta maison. Les choix que tu penses anodins: salade ou pizza, footing ou couette, télé ou bouquin... A ce stade, je ne sais pas bien comment je vais m'y prendre concrètement pour t'aider. Je ne sais qu'une chose: lorsque je croise quelqu'un qui me parle d'une situation personnelle où j'identifie la violence qu'il se fait subir tout seul, j'ai envie de lui ouvrir les yeux. J'ai envie de le prendre par les épaules, de le secouer en lui criant "Non mais c'est pas possible tu te rends compte que c'est toi qui te fait souffrir ?! Allez, hop hop hop, on se réveille!!" Et en même temps, je sais pertinemment que si je te fais ça alors que tu ne m'as rien demandé, tu vas partir en courant en m'insultant, ET TU AURAS BIEN RAISON!


Ne laisse personne décider pour toi de quand c'est le bon moment  pour aller fouiller dans ta fosse à purin...


Je sais aussi que certaines personnes ont besoin d'être secouées, alors que pour d'autres, il faut la douceur d'un gros câlin. Je sais aussi que tu peux avoir besoin d'être secouée aujourd'hui, et que demain tu préféreras parler et pleurer. So what? A toi de me le dire...

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